Médecin psychiatre à la retraite et psychanalyste en exercice jusqu’à son AVC fin 2014, Didier GRIMAULT a rejoint en 2015 le Groupe des Aphasiques de Touraine.
Ce texte pourrait être l’occasion d’échanges entre aphasiques . N’hésitez pas à dialoguer avec Didier par l’intermédiaire de notre adresse internet (gatouraine@gmail.com)
Lettre de Didier GRIMAULTLettre d’un AVC (ou l’être d’un aphasique)
C’est en tant que médecin psychiatre à la retraite et psychanalyste en exercice ayant été victime d’un AVC le 06/12/2014, et souffrant d’une aphasie que je voulais vous faire partager ma réflexion.
J’ai basculé du rôle de soignant à celui de « patient ».
Je suis donc devenu brutalement aphasique, sans déficit moteur. Beaucoup de progrès ont été accomplis depuis décembre 2014, je suis en phase de récupération mais il persiste une atteinte massive du langage écrit (d’où la nécessité d’une tierce personne pour la transcription de ma pensée).
C’est donc en collaboration avec mes orthophonistes que je rédige cet article.
C’est après avoir assisté à une réunion du GAT (groupe des aphasiques de Touraine) que m’est venue cette idée.
Le GAT a pour mission de « sortir les aphasiques de leur isolement, de développer l’amitié et la solidarité entre les aphasiques et leurs familles et de faire connaître l’aphasie ».
Cette association bénéficie en effet de peu de visibilité. Elle a une particularité c‘est qu’elle est gérée par des aphasiques eux même et quand on sait qu’aphasie signifie « perte de la parole » cela constitue une gageure. Elle se réunit régulièrement, organise des activités de loisir, des manifestations annuelles ( voyage, loto etc..), et des réunions avec les « aidants ».
Après l’AVC on nous parle de réorganisation cérébrale, de plasticité cérébrale mais à côté de la neurologie il ne faut pas oublier la psychologie.
Le versant neurologique et le versant psychologique sont fortement intriqués du fait des conséquences qui ne sont pas seulement neurologiques mais aussi psychologiques. La réorganisation cérébrale, à mon avis, ne peut se faire sans la prise en compte de cette donnée.
Je déplore qu’on se fixe sur le « a » privatif du mot aphasie puisqu’à titre personnel j’ai apprécié, perçu plus finement et été plus sensible à la musique, par exemple, depuis mon AVC. Donc l’aphasie m’a permis de m’ouvrir à un nouveau domaine et m’a apporté « quelque chose en plus ».
L’AVC modifie également la perception des faits du quotidien et il faut donc s’adapter « psychiquement » à ce nouvel état d’où l’idée d’une sorte de « plasticité psychique » nécessaire à la récupération.
L’AVC est un « trou matisme » psychique qui fait revivre tout son passé depuis la petite enfance de manière différente. Depuis l’AVC je me suis « replongé » dans mon enfance avec une relecture des différents évènements, notamment le regard que l’on peut porter sur ses proches, regard modifié par l’AVC.
Etant moi-même analysant, j’ai cessé la cure de mes patients de façon brutale et soudaine à cause de mon AVC.
De ce fait mes patients ont subi également un traumatisme psychique à cause de cet arrêt non anticipé.
Un acquis, pour moi, sera de retrouver « autrement » certaines fonctions et d’accepter cet« autrement » car penser qu’on peut les retrouver comme elles étaient avant l’AVC est une illusion.
Il est également nécessaire de faire le deuil de la personne telle qu’elle était antérieurement à l’AVC (comme on le fait à tout âge mais avec ce côté brutal et imprévisible de l’AVC).
Il parait donc important que la rééducation prenne en compte les deux aspects à la fois les neurosciences et également la psychologie avec une orientation psychanalytique.
Bien que médecin je n’avais aucun accès à ces structures autour de la rééducation et la réadaptation, grâce à mon AVC je me suis intéressé à un monde qui m’était inconnu et je me suis ouvert à cet univers.
Didier GRIMAULT
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